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Impact du COVID-19 sur les ressources financières et les dépenses d’investissement des collectivités territoriales

 Source : CLUA LEDNA news letter, N° 3/ Mai 2020

I Introduction                                                                                

L’Afrique compte environ 16 000 collectivités territoriales. Ces collectivités ont été créées à la suite de l’adoption et de la mise en œuvre de lois de décentralisation qui répondent aux particularités propres aux pays : à leur histoire ancienne ou contemporaine, au jeu des acteurs nationaux et aux disparités spatiales et socio-économiques internes, entre autres. Ces collectivités sont de différents types : commune rurale ou urbaine au niveau de base, département ou équivalent au niveau intermédiaire, collectivité située immédiatement au- dessous du niveau de l’État central (état fédéré, région, comté, province, etc.). Tous ces types de collectivités ont en commun de jouir de la personnalité juridique en tant que personne publique distincte de celle de l’État central, et de l’autonomie financière. Elles sont généralement administrées par des assemblées élues, sont dirigées par un exécutif élu ou nommé, et disposent d’une administration propre. Ces collectivités se sont regroupées en associations nationales qui sont l’institution représentative de la voix des élus locaux et/ou régionaux. Il en existe actuellement 48 dans l’ensemble du continent. Ces associations ont pour rôles de contribuer au renforcement de la décentralisation, de représenter et défendre les intérêts collectivités membres auprès des pouvoirs publics et des partenaires nationaux et internationaux et de promouvoir la bonne gouvernance. Les collectivités territoriales peuvent aussi se regrouper selon le type et la taille (rurale ou urbaine ; bourgs ruraux, villes intermédiaires/secondaires, grandes villes, etc.) selon la zone géographique d’appartenance, ou suivant la fonction dominante (villes portuaires,  villes  touristiques,  etc.).  Dans  certains  pays,  des  associations  existent  par niveaux de collectivités (municipalités et régions par exemple), par types de collectivités (urbaines et rurales par exemple) ou même par sphères géographiques (associations régionales de collectivités). Le secteur de la santé est une des compétences transférées aux collectivités territoriales dans les pays africains depuis la généralisation des processus de décentralisation. Avec l’éducation  et  l’assainissement,  la  santé  fait  partie  des  compétences  basiques  qui bénéficient de l’avantage comparatif de la proximité suivant le principe de subsidiarité. Dans tous les pays, la construction et l’entretien des centres de santé sont de la compétence des collectivités territoriales, auquel il faut ajouter dans certains autres pays les salaires des agents de santé et assimilés. Dans la plupart des pays les hôpitaux de district et/ou les hôpitaux régionaux existent et sont de la compétence des collectivités régionales, des districts ou des provinces. Seuls les Centres Hospitaliers Universitaires ne relèvent pas de la compétence des collectivités territoriales. En plus du fait que les collectivités territoriales sont responsables de la santé, faisant d’elles des acteurs de premier plan en présence de crises sanitaires, certaines d’entre elles, les villes particulièrement, sont un terrain fertile pour la contagion et la propagation rapide des maladies. En effet, les villes sont par définition des lieux de forte densité, où un grand nombre de personnes vivent et interagissent dans la proximité. Les niveaux de densité dans certaines parties des villes africaines, plus particulièrement dans les bidonvilles et autres établissements informels, sont très élevés. C’est pour ces deux raisons que les collectivités territoriales sont des acteurs clés de la lutte contre les épidémies et les catastrophes nationales. Dans le cas de l’Ébola, les collectivités territoriales d’Afrique Centrale et d’Afrique de l’Ouest ont été en première ligne dans la sensibilisation et la mise en œuvre des mesures de protection pour éviter la propagation de la maladie. Elles ont mis à niveau leurs structures de santé de base pour une meilleure gestion de l’épidémie. En 2005, les collectivités de la région du Lac Tanganyika dans le centre  de  l’Afrique,  de  la  côte  kenyane,  dans  l’est  du  continent  et  de  Kalemie,  en République  Démocratique  du  Congo  ont  été  les  premières  institutions  à  prendre  des mesures immédiates pour porter secours aux populations suite au puissant séisme d’une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter. Même constat en 2019 lorsqu’une grande partie de l’Afrique Australe, dont le Mozambique, le Malawi et le Zimbabwe, ont été frappés par le cyclone tropical Idai. Là aussi ce sont les collectivités territoriales de ces pays qui ont porté les premiers secours aux populations et permis un appui aux plus pauvres en mettant en place les bonnes conditions d’un recasement et d’une aide à la bonne réinsertion des populations.

II – Le rôle central des collectivités territoriales

La réponse des collectivités territoriales a été diverse et a inclus des mesures classiques de lutte contre la propagation de la maladie, jusqu’à la mise en œuvre du confinement et des mesures sociales et d’atténuation des impacts sociaux de la pandémie. Les autorités de villes comme Abidjan, Johannesburg, Lagos ont procédé à la remise de matériels sanitaires et de prévention aux structures de santé, (gants, cache-nez, blouses jetables, javel, dispositifs complets de lave-mains, lits médicalisés, équipements d’isolement) aux communautés, aux travailleurs sociaux et aux centres de santé. Compte tenu de la pénurie de masques dans certains pays, des villes ont mis en place une capacité de production, en adaptant la production de certaines de leurs structures comme ce fut le cas à Abidjan avec la reconversion du Centre municipal de formation aux métiers de la couture, de la coiffure, de l’esthétique et de la pâtisserie. Dans certaines villes comme Sousse, N’Djamena et Rabat, les services municipaux procèdent chaque jour à la stérilisation des espaces et places publics pour freiner les risques de propagation de la maladie. Face à l’arrêt des taxis et bus de transport, la Kampala Capital City Authority (KCCA) a mis en place 29 sites où sont stationnées les ambulances qui assureront le transport des personnes en situation d’urgence sanitaire. Certaines villes africaines comme Nairobi (Kenya), Kinshasa (République Démocratique du Congo) et Niamey (Niger) ont tout simplement choisi de s’auto-confiner. En effet dans ces pays, les capitales concentrent le plus grand nombre de malades du COVID-19 faisant d’elles de véritables facteurs de propagation de la maladie. Les autorités locales en coordination avec les autorités centrales ont choisi « d’isoler » leurs villes du reste du pays pour éviter d’être le vecteur de la contamination du pays. C’est ainsi que ces villes ont été coupées du reste du pays, et des barrages érigés pour contrôler les allées et venues des habitants. A l’exception du trafic de biens et de marchandises, tous les véhicules qui partent de ces capitales sont arrêtés, et chaque déplacement doit être justifié. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été aussi mises à profit par les collectivités pour freiner la propagation de la pandémie. C’est ainsi que la commune de Tétouan (Maroc) a accéléré le passage aux services en ligne afin de faire face à la propagation de la pandémie du coronavirus. La commune a décidé l’arrêt définitif de l’utilisation du support papier et le passage à la numérisation de ses services et prestations au  profit  des  usagers  par  mesure  de  prévention  contre  la  transmission  du  nouveau coronavirus (COVID-19). Pour la commune, cette décision de numérisation de ses services vise à éviter le risque de transmission du coronavirus, en mettant en place une alternative numérique pour assurer le fonctionnement normal du travail administratif. D’autre part, Johannesburg (Afrique du Sud) a, parmi les 8 mesures prises par la Ville pour lutter contre le coronavirus, prévu en bonne place l’aide à la recherche et au suivi des personnes qui ont été potentiellement exposées à des personnes dont l’exposition au virus a été confirmée. Certaines collectivités se sont appesanties sur les conditions à mettre en place pour une bonne mise en œuvre des mesures barrières et d’hygiène publique. C’est ainsi que des collectivités territoriales comme Harare (Zimbabwe) et Zaire (Angola) ont mis l’accent sur l’amélioration de l’accès à l’eau, particulièrement dans les quartiers populaires denses. Dans ces quartiers surpeuplés qui ne disposent que de peu de commodités, les collectivités ont mis en place des bornes-fontaines publiques, et des dispositifs publics de lavage des mains. Cette mesure est d’autant plus importante que selon les estimations des Nations- Unies, seuls 56 % de la population urbaine d’Afrique subsaharienne ont accès à l’eau courante et 10% seulement des habitants des bidonvilles. A Harare (Zimbabwe), sous la pression des populations, le Conseil municipal a récemment augmenté sa production d’eau de 173 mégalitres à 240 mégalitres par jour depuis le 20 avril 2020, et en s’assurant que toutes  les  banlieues  ont  accès  à  l’eau.  En  Angola,  le  Gouverneur  de  Zaire  a  mis  à disposition des communes et municipalités des citernes pour soutenir l’approvisionnement en eau potable des zones reculées de la région dans le cadre des mesures de prévention et contention du COVID-19. De nombreuses villes africaines se sont investies dans l’atténuation des effets sociaux du confinement.  En  effet,  la  nécessaire  quarantaine  générale  a  heurté  de  plein  fouet  les groupes sociaux pauvres. Ces groupes essentiellement composés des actifs et ménages du secteur informel ont la caractéristique principale d’avoir des revenus journaliers, dont le niveau permet à peine de répondre à leurs besoins journaliers, à commencer par la nourriture. Le service des affaires sociales de Dori (Burkina) a ainsi mis en place un fonds communal de solidarité pour soutenir les personnes qui n’ont plus d’activités suite aux mesures de confinement. La ville de Dakar (Sénégal) organise une aide alimentaire dans les 19 communes de la ville, pour faire face aux conséquences de l’épidémie de COVID-19. Enfin, les initiatives des collectivités territoriales africaines concernent  aussi les sans- domiciles fixes et certaines catégories de migrants. A Fès (au Maroc), la Commune a identifié un site d’accueil pour les populations migrantes,  et les services  communaux réalisent sa viabilisation avec le nettoyage de ses différentes dépendances (dortoirs, WC, cuisines,  et),  l’installation  des  lampadaires,  et  la réparation  des  douches  dotées  d’eau chaudes. Les autres commodités telles les couvertures, lits et nourritures, les premières fournitures sont déjà livrées. Toutefois, d’autres livraisons de produits alimentaires seront effectuées.

III – Impact du COVID-19 sur les ressources financières et les dépenses d’investissement des collectivités territoriales

Le COVID-19 fait craindre les pires conséquences économiques depuis la Grande dépression de 1929, selon le FMI1.   Au Maroc, selon la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM)2, une baisse entre 30% et 50% de l’activité est notée pendant les trois premiers mois du confinement. La Secrétaire Exécutive de la Commission Économique pour l’Afrique (CEA), Mme Vera Songwe, prévient, qu’au-delà de la baisse de l’activité, de nombreuses petites et moyennes entreprises risquent « de mettre la clé sous la porte ». Quant à l’activité économique du secteur informel qui occupe les deux-tiers des actifs dans les villes africaines, le confinement implique un arrêt pur et simple, ce qui implique en pratique un chômage massif et une baisse drastique des revenus. Au niveau territorial, l’impact risque d’être plus important pour deux raisons. La première est liée au fait que le secteur moderne dans les collectivités territoriales (hors capitales nationales) est constitué d’une myriade de PME-PMI dont la capacité à absorber des chocs systémiques  comme celui  du  COVID-19,  est  faible.  Une grande part  de ces  activités économiques ne survivra certainement pas aux conséquences du COVID-19. La seconde est due au fait que le secteur informel est majoritaire dans ces collectivités territoriales : entre 35% et 50% de la valeur ajoutée et entre 60% et 80% de l’emploi3. La valeur ajoutée de ce secteur est proportionnelle au temps d’exercice que leur laisse le confinement décidé par les autorités nationales et locales. L’essai  d’estimation  de  l’impact  du  COVID-19  sur  les  ressources  financières  et  les dépenses d’investissement des collectivités territoriales africaines se fait selon la double précaution suivante. (1) Tout d’abord, l’impact est apprécié au regard des trois sources de revenus : les ressources collectées auprès du secteur informel ; les ressources collectées auprès du secteur moderne et enfin les transferts financiers de l’État aux collectivités territoriales. (2) Puis deux simulations sont faites sur les recettes totales de fonctionnement d’une part et sur les dépenses d’investissement d’autre part. La première simulation est la prolongation de la situation actuelle ; elle fixe le niveau d’activité économique en général au tiers de l’activité annuelle habituelle. Pour le secteur informel, cela implique 4 mois d’activité, tenant compte de la linéarité de son activité. Pour le secteur moderne au temps d’activité,  il  faut  prendre  aussi  en  compte  certaines  fermetures  d’activités ;  c’est l’équivalent du quart (3 mois) d’activité qui est retenu. Pour les transferts financiers reçus de l’État, ils sont divisés de moitié dans cette simulation.  La seconde simulation est plus optimiste ; elle suppose un déconfinement rapide et 4 mois seulement d’inactivité dans l’année. Cela implique 8 mois d’activité du secteur informel, et la moitié de l’année pour l’activité du secteur moderne. Quant aux transferts financiers reçus de l’État, cette simulation  ne  considère  aucune  baisse  du  niveau  des  transferts  financiers  qui  sont reconduits comme tels. Le modèle prédit qu’en moyenne pour l’ensemble des collectivités territoriales africaines, c’est une baisse des ressources financières de l’ordre de 65% pour la première simulation à 30%  pour  la  seconde  simulation  qui  est  attendue.  Ces  chiffres  suggèrent  que  si  les tendances  actuelles  se  poursuivent,  il  est  à  craindre  que  les  collectivités  territoriales perdent les deux-tiers de leurs ressources, mettant ainsi en péril la fourniture des services publics locaux aux populations. Dans le meilleur des cas, il faudra s’attendre à une baisse des finances locales équivalente au tiers des budgets locaux, ce qui est une véritable préoccupation. Cette moyenne africaine cache cependant des fortes disparités régionales. La figure ci-dessous montre l’impact sur les finances  des  collectivités  territoriales du COVID-19 par région. Ainsi pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Nord, la baisse du niveau des ressources financières est la plus forte, quelle que soit la simulation. Cette forte baisse traduit une part plus importante du produit dans les budgets locaux de ces deux régions, toutes choses étant égales par ailleurs. Ce sont d’ailleurs ces deux régions qui affichent les plus fortes baisses en simulation 2, postulant le maintien du niveau des subventions de l’État. L’Afrique centrale est parmi les cinq régions celle qui connaît les baisses les plus faibles des deux scénarios, reflet d’une insuffisante contribution du secteur informel et/ou des effets des nombreuses exonérations dont bénéficient les entreprises formelles.

Le  second  indicateur  important,  à  côté  de  la masse  des  finances  locales,  ce  sont  les dépenses d’investissement des collectivités territoriales. Elles sont importantes parce qu’elles déterminent la qualité et la quantité de l’infrastructure nécessaire à la fourniture des services publics locaux. L’impact du COVID-19 est -63% si la situation actuelle se prolonge et – 26% pour un scenario optimiste. Compte tenu de la modicité des budgets d’investissements en période normale, il est plus que nécessaire d’anticiper sur des subventions spéciales dédiées à l’investissement Ces moyennes,  comme le montre la figure 2,  cachent de grandes  disparités entre les régions. Ainsi l’Afrique centrale semble connaître les plus faibles baisses en matière d’investissement. Cette situation est dû au fait que dans cette région, toutes choses étant égales  par  ailleurs,  les  collectivités  territoriales  ne  réalisent  pratiquement  pas  de prélèvement  pour  recettes  d’investissement ;  la  totalité  des  ressources  financières  est consacrée au fonctionnement. Du coup l’investissement recouvre presque exactement les subventions reçues de l’État dédiées aux recettes du budget d’investissement : c’est ce qui explique que dans le scénario 1, la baisse des dépenses d’investissement recouvre exactement le niveau de baisse retenu pour les subventions de l’État dans ce scénario, soit 50%. Pour le scénario 2, le résultat proche de zéro s’explique non seulement par un rétablissement du niveau des subventions pour investissement, mais aussi par le fait que l’amélioration du niveau de l’activité économique ne se traduit pas par la réalisation de prélèvements pour recettes d’investissement. C’est dans une moindre mesure les cas de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique du Nord

Par rapport à l’Afrique centrale, l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est se trouvent dans une situation contraire. Une grande partie de l’investissement vient du prélèvement pour recettes d’investissement, ce qui implique une forte baisse dans les deux simulations et particulièrement pour la seconde simulation où le niveau des subventions de l’État est maintenu tel quel.

Parallèlement à l’impact du COVID-19 sur les différentes régions d’Afrique, l’analyse par rapport à la population des villes donne un éclairage supplémentaire. La figure 3 montre que les baisses sont plus ou moins équivalentes quelle que soit la taille des collectivités territoriales, à l’exception de la taille des villes entre 0,5 et 1 million d’habitants.

Les résultats de la seconde simulation (qui estime que le secteur informel restera actif pendant au moins 8 mois) montrent une meilleure réactivité des villes de moins de 200 000 habitants compte tenu de l’importante contribution du secteur informel dans leurs budgets. Cette performance est aussi relevée chez les villes de plus de 1 million d’habitants où une part importante de leur population opère dans le secteur informel. L’analyse de l’impact du COVID-19 sur les dépenses d’investissement des villes apporte un autre éclairage. La figure 4 montre que les villes de moins de 200 000 habitants sont celles dont les besoins sont sans commune mesure avec leurs ressources budgétaires. Le fait que les variations des dépenses d’investissement dans les deux simulations recouvrent exactement la variation du montant des subventions de l’État, montre que ces villes n’ont aucune capacité d’investissement. L’ensemble des ressources financières sont consommées par le fonctionnement induit par la fourniture des services publics. On sait que ces villes intermédiaires/secondaires vont absorber à elles seules le tiers du croît de la population urbaine en Afrique dans les 20 prochaines décennies. La capacité d’investissement de ces villes ne dépend en réalité que de l’État qui n’y consacre jusqu’à présent qu’une attention marginale. On doit en conséquence attirer fortement l’attention sur la faible place qui leur est accordée dans les politiques publiques d’investissement dans la majorité des pays africains. Les stratégies d’appui à ces villes doivent non seulement viser à renforcer la mobilisation des ressources financières en élargissant leur base fiscale, mais aussi à améliorer la qualité de la dépense publique locale en rationalisation les dépenses et en identifiant les dépenses qui permettront de soutenir l’activité économique. Les villes dont la taille varie entre 0,2 et 0,5 millions d’habitants vont connaître la proportion la plus importante de baisse de leurs recettes d’investissement qui équivalent aux subventions reçues de l’État, ce qui ramène cette baisse au même niveau quel que soit le scénario considéré. Pour les villes de plus de 0,5 million d’habitants leur contribution non négligeable aux dépenses d’investissement sur ressources propres explique le niveau des baisses. 

 IV – Implications pour les politiques publiques

Les résultats de cette analyse de l’impact de la pandémie du COVID-19 sur les finances et l’investissement des collectivités territoriales africaines, suggèrent deux implications principales pour les politiques publiques. La première implication est celle du nécessaire approfondissement du processus de décentralisation en Afrique et plus particulièrement dans le domaine de la santé publique. En effet, les initiatives prises par les institutions publiques locales dans tous les pays africains ont été décisives contre la propagation de la maladie. Décisives parce qu’elles ont été  plus  rapides,  au  plus  près  du  terrain,  et  connaissant  mieux  les  contraintes  que rencontrent les structures sanitaires sur le terrain ; mais surtout efficaces par une meilleure connaissance des populations et un meilleur ciblage des actions de sensibilisation sur la prise  des  mesures  barrières.  Les  effets  aussi  bien  sur  les  ressources  des  collectivités territoriales que sur leurs dépenses d’investissement montrent la nécessité d’un approfondissement des processus de décentralisation, particulièrement leur volet financier. Par ailleurs, toutes les mesures prises par les différentes institutions financières internationales (Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Institutions régionales d’intégration, etc.) sont certes un point positif, mais il faut éviter qu’elles ne se traduisent dans la pratique par une recentralisation des interventions dans le secteur de la santé. Il est important de faire en sorte que la mise en œuvre de ces mesures de soutien au secteur de la santé s’accompagne d’une exigence de leur territorialisation dans le respect des textes législatifs et règlementaires adoptés en matière de décentralisation par les pays africains. Il est nécessaire de se préoccuper de la manière dont les appuis apportés au secteur de la santé dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus et ses conséquences vont atteindre les collectivités territoriales. La plupart des États africains appuient les budgets des collectivités territoriales et ont des procédures budgétaires et comptables pour ce faire.  Rien n’empêche que dans le cadre de la crise du coronavirus, et pour plus d’efficacité et d’impact des actions au niveau des populations locales, ces procédures soient effectivement adoptées et mises en œuvre dans le cadre des appuis budgétaires apportés au secteur de la santé par les partenaires au développement.

La seconde implication est celle de la ré-interrogation des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales. Sur le plan conceptuel, la mise en avant de la priorité à la stabilisation économique a conduit à émettre beaucoup de réserves sur la détermination d’un champ fiscal propre aux collectivités territoriales. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’on recommande habituellement de ne pas transférer aux collectivités territoriales les impôts nationaux qui ont les particularités de générer des ressources fortement fluctuantes comme l’impôt sur le bénéfice des sociétés, la taxe sur la valeur ajoutée et les droits de porte. Mais le COVID-19 a montré qu’il est important de réhabiliter la fonction de stabilisation et de redistribution des transferts des finances publiques entre l’État et les collectivités territoriales. Les mêmes impôts dont la décentralisation n’est pas souhaitée sont aussi des instruments importants de stabilisation et de redistribution sur le plan territorial. Une partie du produit de ces impôts et taxes centralisés jusqu’ici peut être utilisée via des  systèmes  de transferts  financiers  pour amortir les  cycles  et  les  chocs naturels ou extérieurs. Les systèmes de subventions aux territoires doivent particulièrement appuyer les collectivités territoriales dans leur rôle d’accélérateur du développement économique local, afin que la croissance des économies locales vienne soutenir la création et la redistribution des richesses au niveau national. Il a été montré combien les entreprises du secteur informel étaient dépendantes des équipements et infrastructures de base mis en place par les collectivités territoriales. Toute dépression durable de la capacité des collectivités territoriales à investir dans le développement des équipements et services de base va se traduire immanquablement par une dégradation des conditions et du cadre de vie des populations, et par une diminution drastique des activités du secteur informel.   Les politiques de soutien aux activités économiques définies en réponse aux conséquences économiques de la pandémie du coronavirus doivent donc prendre le plus grand compte de l’impact de cette crise sur les budgets locaux, et ne pas limiter les soutiens aux seules entreprises. Les systèmes de subventions anticycliques aux collectivités territoriales sont plus que jamais nécessaires, notamment en Afrique où l’ouverture des économies à la mondialisation  entraîne  une  grande sensibilité des  finances  publiques  aux  fluctuations cycliques des marchés mondiaux. Le renforcement des économies locales est l’une des réponses  les plus  efficaces  pour diminuer la sensibilité des  économies  nationales  aux cycles de l’économie mondialisée. C’est peut-être une opportunité que la crise du COVID- 19 ouvre pour un regard différent de la contribution des collectivités territoriales à la transformation structurelle et au développement de l’Afrique.

© 2020 CGLU Afrique

1 Le gouverneur du comté de Machakos (Kenya) a exonéré les populations de Machakos du paiement des factures l’eau entre mai et décembre 2020, tout en œuvrant à ce que l’ensemble des habitants de la région aient accès à une eau potable.

 

1 -1  C’est le  sombre pronostic posé par  Kristalina Georgieva, la Directrice générale du FMI sur l’impact de  la  pandémie du coronavirus sur l’économie mondiale, dans un discours en amont des réunions de printemps qui se tiendront par vidéoconférence

2 Selon une enquête sur 815 entreprises interrogées (sur 1740) ont vu leur activité, pendant les trois premiers mois, baisser de plus de 50% et 301 entreprises ont déclaré une baisse entre 30% et 50%.

3 Voir les résultats des études ECOLOC